Le chameau sauvage, Philippe Jaenada

Une fois n’est pas coutume, il est parfois plus facile de raconter des choses sur ce qu’on n’a pas aimé ou ce qu’on a aimé moyen. Parce que quand on a aimé passionnément, on a peur, à juste titre, de ne pas être à la hauteur de ce qu’on a ressenti au contact de l’œuvre. Finalement c’est encore pas tant l’œuvre qui est en cause mais le rapport qu’on a eu avec elle. Et là, vous avez déjà compris que je vais avoir beaucoup de mal parce que j’ai adoré et encore davantage. C’est simple, pendant les deux semaines qu’il m’a tranquillement fallu pour lire le roman, hé bien, je ne l’ai pas quitté. Sur ma table de nuit la nuit, dans mon petit sac à dos vadrouille en vadrouille, dans le tiroir du bureau au bureau, etc… Ce sont des tribulations, celles d’Halvard Sanz, homme jeune, lucide et maladroit, cérébral et mal à l’aise, errant et mal en point. Le problème d’Halvard, je veux dire le vrai problème, celui qui l’envahit constamment, c’est qu’il réfléchit trop. Non même pas, il réfléchit tout le temps. Il réfléchit à tout et à rien. C’est idiot de dire ça, ça semble banal comme tout. Mais en fait, la narration, c’est en gros le cerveau vu de l’intérieur. Toutes les petites et les grandes idées traversent le cerveau d’Halvard, jamais, absolument jamais au repos. Plus étonnant, vous retrouverez le farfelu absolu des idées qu’on a toutes et tous et dont on ne se rend pour ainsi dire jamais compte, ou presque. Des idées pas honteuses, non, mais des idées dont on a honte quand même tant elles sont loufoques, mal à propos, décalées, hors du monde. Et ce n’est pas tout, encore plus fort que les idées, qu’elles soient ridicules ou admirables, vous allez adorer le cheminement de l’esprit, les raisonnements décortiqués, le coq à l’âne, le fil en aiguille, le glissement de la pensée d’un point à un autre et pas forcément par la ligne droite… Les tribulations, voire même les aventures d’Halvard, sont fantastiquement banales et fantastiquement passionnantes. Il essaiera le bricolage, la prison, l’alcool, la séduction tous azimuts, les voyages, la solitude, toutes formes de travail sur lui… Mais surtout il essaiera et il trouvera l’amour, celui auquel on met un grand A. Celui qui même s’il ne dure que deux heures vaut à lui seul d’avoir vécu. Il aura rencontré, connu et aimé passionnément une jeune femme tout aussi atypique que lui, mais autrement… Il aura aimé Pollux Lesiak, et nous avec lui… Et puis aux dernières pages, il découvrira la théorie du chameau sauvage, qui pourrait bien changer sa vie et pourquoi pas la vôtre… Moi j’y pense tous les jours à la théorie du chameau sauvage à présent… Non, c’est pas du tout une blague ! Philippe Jaenada fabrique une prose jubilatoire qui réconcilie quelques contraires apparents ; de drôle à émouvant, de légère à profonde, il n’y a qu’une phrase ou qu’un mot, toujours déniché… Un vrai miracle !