La journée de la jupe, Jean-Paul Lilienfeld
- By Frederic
Sonia est professeur de français dans un quartier qu’on nomme difficile, en région parisienne. Pendant un cours tristement et désespérément habituel, une bousculade avec un élève fait jaillir un pistolet d’un sac. Contre toute attente, le professeur s’en empare et menace, pour rétablir le calme qui enfin lui permettra de faire un cours. Molière et son bourgeois gentilhomme… Mais dehors, la situation dégénère… Police, parents d’élèves, collègues enseignants, ministre, médias… Et dedans, une prise d’otages ? En fait, c’est un huis clos, l’occasion unique et inespérée d’instaurer un dialogue avec des jeunes sans repères, indomptés, violents, qui ne rêvent que d’argent et de football, et ne parlent que de respect sans avoir la moindre idée de ce dont il s’agit. Sonia va tout tenter pour les sauver, les acculer dans leurs incohérences, leurs propos sexistes, racistes, les interpeller sur leurs valeurs pathétiques et l’absolue misère de leurs comportements. Mais ce n’est pas un film américain, personne ne gagne à la fin. Isabelle Adjani est époustouflante, les élèves acteurs également, plus vrais que nature. Mais au-delà, ce film est un électrochoc parce qu’il aborde sans complaisance des sujets tabous et essentiels de la France urbaine d’aujourd’hui : la violence banalisée comme mode unique d’expression et de communication, l’irrespect vertigineux des femmes, la terreur permanente des habitants des cités, la récupération religieuse rétrograde et inculte, le décalage absolu des valeurs, la sempiternelle victimisation, le fléau de l’urbanisation par les ghettos, l’impuissance des professeurs et des proviseurs, la lâcheté et l’irresponsabilité des politiques, l’omnipotence écoeurante des medias… Personne, absolument personne n’est épargné. Ou quand un film devient chef-d’œuvre parce qu’il se fait la quintessence de l’Art, dire et révéler au plus grand nombre ce qu’il ne sait, ne peut ou ne veut pas voir… A la prise d’otage des élèves succède celle du spectateur. Comment sortir d’un tel film une fois la séance terminée ? Comment arrêter le défilement des images, le tourbillon des pensées ? Qu’est-ce qu’on peut bien faire après ça ? Un chef-d’œuvre de lucidité, de courage et de cinéma, à voir obligatoirement, comme un spectateur et comme un citoyen.