Jérémie Kisling, Tout m’échappe

Imaginez que la ligne soit parfaite, que la direction change sans qu’aucun angle ne soit jamais saillant. Pensez à votre vitesse, celle d’un point en mouvement, sans que jamais, la moindre secousse ne

soit ressentie. Imaginez que les paysages défilent sans que les transitions n’aient même à être envisagées. Que rien n’interrompe jamais la caresse. Qu’elle dure jusqu’à la fin. Imaginez l’improbable harmonie. Puis vivez-là. Du monde à vos ongles, sentez comme la douceur est forte, comme les montagnes semblent légères, prêtes à être soulevées. Telle plume. Les phrases se rangent parfaitement dans les mélodies ; moulées les unes pour les autres, au cordeau, comme les jolies pensées se sculptent sans outil ni matière. Puis, pour donner la vie, la voix habille somptueusement les airs, comme s’ils n’avaient toujours attendu qu’elle. En décor, ce qui arrange est aussi délicat qu’imparable, élégant à faire pâlir les princes. Imaginez le tout, l’ensemble qui donne la chair de poule, et les larmes à certains yeux. Dites-vous alors que la ligne valait la peine d’être vécue. Et que si tout nous échappe, c’est sans doute encore mieux ainsi.