La vie moderne, Raymond Depardon

J’avais pris toutes les précautions qui s’imposaient pour assister à la projection de « la vie moderne », le documentaire de Raymond Depardon sur la vie paysanne en moyenne montagne. Précautions mentales. Toutes. Je voulais que mon regard soit prêt, qu’il soit juste, que mon âme soit ouverte du plus grand qu’elle le puisse, pour que cette vie moderne s’y engouffre entièrement. Absolument.

Des premiers mètres en avançant sur cette route où tout commence jusqu’au dernier regard de Raymond sur cette route en reculant, je n’ai rien perdu, pas une seconde, pas une miette, pas un fragment, pas un instant de ces gens, de ces paysages accidentés, de ces animaux, de ces corps de ferme, de ces silences.

Les silences…

Ceux de la Nature, muette sauf lorsque le vent souffle. Ceux de ces gens, muets, par habitude. Ceux des spectateurs, muets jusqu’au dernier souffle du film et au-delà. Comment le rompre ?

Les silences…

Entrecoupés par un violoncelle et un piano, cordes sensibles et vibrantes, bouleversante musique composée par Gabriel Fauré. Délicate enveloppe des routes et des paysages. Quand il neige à l’écran, le frisson sur l’échine ne vient pas du froid.

Au-delà des silences…

Raymond Depardon capture des expressions, des non-dits, de la souffrance, de la passion, de l’humanité à l’état brut, sans fioritures, sans semblants, faux ou vrais.

On pourrait s’interroger pendant et après le film sur le sens de la vie de ces gens et par extension sur le sens de la notre. Mais c’est définitivement l’émotion et la pudeur qui l’emportent. Car en quittant la salle, le billet encore dans la poche, froissé, Paris a des airs d’ailleurs, le temps est encore suspendu. Suspendu à ces gens attachants, à cette nature fragile, à ce voyage improbable.

Puis se taire, enfin.