Morten Harket – Brother

Elle est assise derrière moi, nous voyageons sans mots, en musique. Inutile de parler ; je le sais, elle le sent.

Peut-être ai-je fredonné une ou deux phrases, le thème principal, je ne sais plus. Peut-être était-ce audible, peut-être pas. Mais le véritable chœur est venu d’elle, généreux et ample. Sans me retourner, pour que surtout elle ne s’arrête pas, j’ai tendu l’oreille. Les mots ne correspondent pas aux paroles, ils sont des onomatopées, faits de voyelles et de consonnes, un anglais lointain. La mélodie n’est pas fidèle non plus. Les intonations, timides, suivent les bonnes mais la justesse n’est qu’en voie. L’arrangement est insolite et inattendu, mais il me charme.

Sur le refrain, sa voix redouble d’enthousiasme, à cœur joie, mais soudainement, elle semble préférer se taire. Elle a fermé les yeux et ses paupières frémissent comme si un léger vent les chahutait de l’intérieur… A quoi songe-t-elle ? Quelles couleurs, quelles formes, quelles textures dessine-t-elle alors que les deux voix ne se mêlent plus ? Nous ne bougeons plus, même les respirations semblent ne plus exister. Un pont, un refrain encore, puis une coda, pour que de décibel en en décibel, l’éclipse prenne lentement fin.

Après le dernier instant, ses yeux se rouvrent, et elle me dit que la musique, c’est beau.

Et dans un coin de ma tête, je tente alors de me rappeler que c’est ma fille et qu’elle a trois ans et demi.